La Chine vient de prendre une longueur d’avance sur ses concurrents en lançant les premiers essais cliniques sur des patients humains d’une thérapie reposant sur CRISPR, relançant une compétition entre équipes de recherche et pays qui n’est pas qu’une pure création des médias.
Il faut dire que les enjeux qui se cachent derrière cette technologie d’édition génomique sont énormes.
Ils sont tout d’abord scientifiques. CRISPR, en offrant la possibilité d’intervenir facilement au sein même de l’ADN, ouvre une infinité de possibilités thérapeutiques. Les pistes les plus prometteuses portent actuellement sur la réparation des gènes – et donc un espoir contre les maladies génétiques –, en oncologie et dans la lutte contre les virus et les bactéries.
Et ce n’est qu’un début : à plus long terme, on peut très bien imaginer, par exemple, réparer notre ADN et empêcher nos cellules de vieillir.
CRISPR va aussi permettre de créer de nouvelles générations de végétaux et de semences, plus résistantes, plus nutritives ou plus productives. C’est la raison pour laquelle Monsanto mise tant sur cette technologie.
L’ampleur des enjeux financiers est à la hauteur de ces possibilités biotechnologiques et thérapeutiques. L’argent afflue vers les équipes utilisant CRISPR, et tout particulièrement vers les biotech spécialisées dans le domaine.
Un exemple parmi d’autres : la fondation Bill et Melinda Gates finance à hauteur de 75 millions de dollars les recherches d’une équipe britannique contre le paludisme. Cette équipe travaille sur une des voies les plus prometteuses : celle du « gene drive » appliquée à des populations de moustiques modifiés via CRISPR pour soit éliminer les moustiques femelles, soit supprimer le gène qui permet à ces insectes de transmettre le paludisme.
De manière plus générale, l’édition génomique attire les investisseurs et les investissements. Selon le Boston Consulting Group, depuis 2014, c’est plus d’un milliard de dollars en capital-risque qui a afflué vers les entreprises du secteur.
Emergence d’une nouvelle génération de biotech estampillées CRISPR
Depuis début 2016, trois biotech spécialisées dans le développement de thérapies utilisant CRISPR sont entrées en Bourse : Editas, Intellia Therapeutics et CRISPR Therapeutics. Une autre société, Caribou Biosciences demeure pour l’instant privée, même si une possible IPO et régulièrement évoquée.
Derrière ces quatre sociétés se trouvent en fait trois noms bien connus des amateurs d’actualité scientifique : Jennifer Doudna, Emmanuelle Charpentier et Feng Zhang. Tous trois sont considérés comme les découvreurs de CRISPR-Cas9, mais c’est bien sûr bien plus compliqué que cela.
Je l’avais déjà évoqué dans une précédente Quotidienne : la découverte de CRISPR fait aujourd’hui l’objet d’une homérique bataille légale entre les trois chercheurs susnommés et plusieurs universités. D’un côté, Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier, soutenue par l’université de Californie à Berkeley et l’université de Vienne. De l’autre, Feng Zhang avec, derrière lui, le Broad Institute et le MIT. Des poids lourds donc.
Pour résumer rapidement les enjeux, Doudna et Charpentier sont les premières à avoir démontré que CRISRP-Cas9 pouvait être utilisé pour découper des gènes et les remplacer. Zhang a quant à lui axé ses travaux sur l’application de cette technique pour l’édition génomique. En outre le Broad Institute et le MIT sont les premiers à avoir déposé des brevets sur CRISPR, et ce même si l’antériorité des travaux de Doudna et Charpentier est reconnue par (presque) tout le monde.
Doudna et Charpentier contestent donc les brevets attribués à Zhang et aux instituts qui le soutiennent. La bataille juridique est lancée, aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis, et personne ne peut encore prédire comment elle se terminera. Aux dernières nouvelles (qui datent d’octobre), l’Office européen des brevets pencherait en faveur de Zhang mais, je vous le disais, rien n’est réglé.
Or c’est un énorme problème car la survie des quatre biotech que je vous citais plus haut dépend en très grande partie de l’issue de ces batailles légales.
Editas a ainsi été fondé par Zhang et Doudna avant que celle-ci claque la porte (à cause de ces fameux problèmes de brevets) et rejoigne Caribou Biosciences.
Caribou Biosciences a ensuite créé une autre biotech, Intellia Therapeutics, qui est chargée d’exploiter, fabriquer et commercialiser les recherches et découvertes menées par Caribou en matière de thérapies reposant sur CRISPR.
Quant à Emmanuelle Charpentier, elle a participé à la création de CRISPR Therapeutics.
Avancées de la recherche et concurrence acharnée
Sacré bazar. Pour ne rien arranger, toutes ces biotech se concentrent sur des domaines de recherches assez proches. Assez logiquement, elles tentent chacune de développer des thérapies destinées à des maladies génétiques qui ne nécessitent que de petites modifications génétiques.
Editas s’est ainsi fait une spécialité de certaines cécités génétiques rares – dont l’amaurose congénitale de Leber. CRISPR Therapeutics et Editas travaillent sur la mucoviscidose, la maladie de Duchenne (DMD) et la drépanocytose (une maladie génétique caractérisée par des globules rouges en forme de faucille). CRISPR Therapeutics s’intéressent en outre à l’hémophilie.
De plus, Elles travaillent toutes sur des thérapies contre le cancer utilisant des lymphocytes T modifiés – des thérapies très semblables à celles développées par l’université du Sichuan. Dans le domaine, les biotech CRISPR doivent également affronter la concurrence des autre biotech spécialisées dans l’immunothérapies, et qui développent presque leurs propres bataillons de super-lymphocytes T.
Les traitements développés par Editas, Intellia ou CRISPR Therapeutics n’en sont en général qu’aux premiers stades des essais, ceux des tests in vitro ou sur les animaux. Seule exception : Editas prévoit le lancement d’un essai clinique de Phase I (donc sur des humains) pour un traitement contre l’amaurose congénitale de Leber. Dans tous les cas, aucun des traitements développés par ces biotech n’atteindra le marché avant plusieurs années, et peut-être même pas avant une décennie.
Les prémices de leurs recherches suscitent malgré tout un énorme intérêt de la part des investisseurs, mais aussi des grandes pharmas.
Celles-ci se sont penchées sur le berceau CRISPR et investissent lourdement dans les biotech du secteur. Quelques exemples : en octobre 2015, CRISPR Therapeutics a conclu un contrat de collaboration avec Vertex Pharmaceuticals pour 105 millions de dollars et, en décembre 2015, annonçait la création d’une joint-venture avec Bayer dans laquelle le géant allemand a prévu d’investir 335 millions de dollars.
Intellia peut quant à elle se vanter d’avoir attiré l’attention de Novartis pour le développement de plusieurs traitements
Et boursièrement ?
Trois introductions en Bourse en 2016 – celle d’Editas (en février), d’Intellia (en mai) et de CRISPR Therapeutics (en octobre) –, trois véritables événements boursiers. L’IPO a permis à Editas de lever 94,4 millions de dollars, 108 millions pour Intellia et un peu plus de 90 millions pour CRISPR Therapeutics. Pas mal du tout pour des entreprises qui n’affichent que des pertes et sont de loin de la phase de commercialisation.
Ces introductions, et tout particulièrement celle d’Editas, ont même suscité un intérêt démesuré. Clôturant autour de 18,20 dollars après sa première journée de cotation, le cours d’Editas s’est ensuite envolé de 130%, flirtant avec les 42 dollars en avril 2016. Depuis, l’emballement boursier s’est un peu calmé, le cours est repassé sous les 16 dollars et perd 14% depuis son introduction.
Le destin d’Intellia est très similaire : le cours s’est envolé de 33% après son IPO en mai 2016… pour ensuite perdre 23% par rapport à son premier cours de clôture.
Seule CRISPR Therapeutics échappe pour l’instant à cette petite malédiction – il faut dire que son IPO est récente – et gagne 34% depuis mi-octobre.
Comment expliquer ce relatif désamour pour les valeurs CRISPR ? Premièrement, il faut bien le reconnaître, par un certain effet de « bulle médiatique ». La découverte de cette technologie d’édition génomique a fait la Une de nombreux médias ces dernières années. Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier sont pressentie pour un prix Nobel de médecine, et quelle autre récente découverte scientifique a suscité autant d’espoirs, de craintes, de fantasmes et de débat ?
Sentant l’argent, les investisseurs se sont précipités sur Editas, première biotech spécialisée dans l’utilisation thérapeutique de CRISPR, qui s’est jetée dans le grand bain de la cotation. Bis repetita, même si dans une moindre mesure, avec l’IPO d’Intellia quelques mois plus tard.
Puis ce fut la phase de déception. Je soupçonne les investisseurs d’avoir enfin pris le temps de jeter un oeil aux pipelines de développement d’Editas et Intellia, et de s’être rendus compte qu’aucun traitement n’atteindrait les marchés avant plusieurs longues années. Les biotech sont souvent des paris à long terme, CRISPR l’est encore plus.
Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Un pari à long terme et un pari particulièrement risqué. Il y a bien sûr le risque inhérent aux biotech et au hasardeux développement de nouveaux médicaments (le taux d’échec atteint 90% en moyenne). A cela il faut ajouter notre relative inexpérience en matière de CRISPR et, surtout, la guerre des brevets qui est loin d’être réglée et dont l’issue pourrait être sanglante pour le cours des biotech concernées.
Vous l’aurez compris, aussi prometteuse soit-elle, la technologie CRISPR est un pari risqué pour les investisseurs particuliers. Deux solutions s’offrent à vous si vous ne voulez pas passer à côté de la révolution de l’édition génomique :
– répartir les risques en investissant (peu) sur Intellia, Editas et CRISPR Therapeutics. Chacune dispose d’atouts à faire valoir dans cette frénésie qui entoure CRISPR.
– miser sur une autre technologie d’édition génomique qui a l’énorme mérite d’avoir déjà fait ses preuves sur des patients humains… et de n’être l’enjeu d’aucune bataille juridique.
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Source: quotidienne-agora
Cécile Chevré est titulaire d’un DEA d’histoire de l’EPHE et d’un DESS d’ingénierie documentaire de l’INTD. Elle rédige chaque jour la Quotidienne de la Croissance, un éclairage lucide et concis sur tous les domaines de la finance.
Bienvenue à gattaca !
Je trouve assez curieux qu’un article comme celui-ci, qui fait fi de toute dimension morale et s’attache exclusivement à la possibilité d’un profit côtoie sur ce site des analyses qui, dans l’ensemble, déplorent le désordre financier et monétaire mondial actuel en tant que conséquence de comportements défiant la morale. Ainsi, certains ne sont pas contre le vol en général, mais seulement contre le vol dont ils sont eux-mêmes victimes …